Mission médicale de l'OSE au sein de la population juive de Taroudant

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Taroudant de Septembre 1953 à Février 1954 

 

Dans le cadre de son programme de secours aux enfants et de protection sanitaire des populations juives, l’OSE Maroc a été amenée vers la fin de 1953 à porter son action dans le mellah de Taroudant, ville principale de la vallée du Souss, dans le Sud Marocain.

 

Le présent rapport constitue un premier aperçu du travail médico-social qui y a été entrepris.

Il expose successivement :

1)      Les raisons qui ont motivé l’action de l’OSE Maroc à Taroudant.

2)      Les résultats de l’enquête sociale qui y a été effectuée au sein de la population juive.

3)      Le travail médical qui y a été accompli, comprenant :

a)      L’examen général systématique de toute la population juive.

b)      Le dépistage et le traitement du trachome.

Les premiers résultats obtenus.

4)      Les enseignements tirés et les indications devant orienter un travail médico-social efficace à Taroudant.

 

RAISONS DU CHOIX DE TAROUDANT

Etendre les bienfaits de son aide médico-sociale au plus grand nombre possible de nécessiteux est par définition la mission même de l’OSE Maroc.

Les énormes besoins des grands centres comme Casablanca, Fès, Marrakech ont évidemment absorbé en priorité jusqu’ici la plus importante partie du budget et des activités de l’œuvre. Cependant la nécessité d’approfondir et d’élargir le champ de son action en la portant également au sein des petites localités n’a jamais échappé à l’OSE Maroc. Elle vient de trouver réunies les conditions favorables en ce qui concerne Taroudant :

1)      Au cours d’une récente visite au mellah de Taroudant, le Dr SICAULT, directeur de la santé publique, remarquait les mauvaises conditions sanitaires existant et l’état déficient de la population ; il exprimait au service local de la Santé, son désir de voir améliorer cet état de choses.

2)      Le secrétaire du conseil des Communautés Israélites, Mr Jacques DAHAN, proposait de son côté que l’OSE-Maroc s’occupât de la Communauté de Taroudant qui est une des plus pauvres.

3)      Le comité de la Communauté Israélite de Taroudant faisait appel officiellement à notre aide.

4)      « L’American Joint Distribution Committee » qui s’est intéressée à Taroudant depuis quelques années (cantine scolaire, aide à la communauté) encourageait ce projet et en facilitait la réalisation.

D’autre part, la population juive de cette ville présentait un certain nombre de caractéristiques particulières qui en faisaient un « sujet » approprié pour une campagne sanitaire de masse. En effet, cette population :

1)      Ne compte approximativement qu’un millier de personnes.

2)      Comprend tous les âges et toutes les conditions sociales.

3)      Est groupée tout entière au mellah.

4)      Est stable.

L’OSE Maroc décida donc d’ouvrir au mellah de Taroudant un Centre Médico-social dont le premier objectif devait être de promouvoir l’examen médical complet de la population, et plus tard le traitement du trachome. La nécessité d’éclairer et d’étayer cette action médicale par une enquête sociale apparut également dès l’abord.

Les contacts nécessaires furent pris préalablement avec les services de la santé régionaux et locaux. L’organisation de la campagne fut discutée en détail avec le Dr LANGLAIS, médecin chef de la région. Les autorités militaires françaises de Taroudant furent prévenues et le commandant de la région donna son consentement. De même furent contactés le médecin-chef et les médecins de l’hôpital civil de Taroudant, ainsi que le comité de la communauté Israélite.

En Septembre 1953, le centre médico-social de l’OSE était ouvert à Taroudant et notre campagne commençait.

 

Soins apportés à un enfant de l'école israélite de l'alliance.

 

ENQUETE SOCIALE

Afin de mieux comprendre les buts, ni les marchés et les difficultés de notre action médicale, il nous a paru utile de donner ici en premier lieu une vue d’ensemble de la situation de la population israélite de Taroudant, tels qu’elle ressort de l’enquête réalisée du 13 octobre 1953 par Mlle AZRA, assistante sociale de l’OSE.

Pour mener à bonne fin cette enquête sociale, des fiches familiales dont on trouvera le modèle ci-après, furent élaborées et complétées sur place. Ces fiches se trouvent actuellement dans nos archives.

 

GENERALITES SUR TAROUDANT

Taroudant, ancienne capitale du Souss (15.000 habitants) est une zone de jardins et de vergers (oliviers, arganiers, amandiers occupent les 2/3 de l’espace encerclé). La grande majorité de sa population est musulmane et composée surtout d’agriculteurs. Elle comprend également 200 européens et un millier d’israélites, ces derniers vivants dans un mellah.

Taroudant et ses remparts en 1925

Le climat est doux en hiver, mais l’été y est torride.

Taroudant est une enceinte de remparts régulièrement crénelés sur plusieurs kilomètres de pourtour qui enserrent la ville. C’est une ville de fondation ancienne. Les maisons du mellah et de la médina sont bâties en pisé ocreux, les mosquées sont construites en briques.

A l’extérieur des murs s’élève un quartier de population européenne avec école, poste, jardin public, etc.

L’hôpital de la santé publique Paul-Chatinières fonctionne à Taroudant sous la direction du Dr CLIER, médecin-chef. Cet hôpital comprend des services de médecine et de chirurgie générale, ainsi que plusieurs services de spécialités. La population marocaine (musulmane et israélite) est soignée et hospitalisée gratuitement dans cet hôpital.

(Renseignements généraux sur Taroudant communiqués par l’Office du Tourisme)

 

LE MELLAH

 C’est à l’intérieur des remparts, une ruelle de terre d’où partent des impasses étroites et tortueuses entre des maisons de pisé ocreux. L’aspect général est misérable. Les maisons, héritées de père en fils , sont pour la plupart humides, obscures, noircies de fumée et habitées par les parents, enfants, grands-parents, cousins et cousines.

Quelques petites boutiques – vendant charbon, épicerie, tabac, pétrole – sont alignées côte à côte et fournissent le ravitaillement. Des marchands ambulants offrent des légumes à moitié avariés, quelques grenades, des oranges ; d’autres sont accroupis devant les paniers de dattes aigres entourés d’un bourdonnement de mouches et d’abeilles.

La population se montre au premier abord méfiante à l’égard des étrangers. Elle devient plus communicative après le premier contact. Il semble d’ailleurs qu’en dépit des explications données par l’assistante sociale, ces gens conservent l’obscur espoir de recevoir quelque chose en retour du questionnaire auquel ils se plient, une amélioration de leur vie, une possibilité d’évasion.

A la tête de la population Israélite, se trouve un cheikh ou Président de la communauté qui est secondé par un adjoint et deux secrétaires. Le Cheikh représente la population Israélite. C’est à lui que revient la tâche de faire respecter et exécuter les règlements et lois rabbiniques (divorce, état civil, mariage, affaires commerciales).

 

Les problèmes du Mellah

1)      HABITAT

a)      Surpeuplement de l’habitat : La majorité de la population souffre du manque d’espace. Des familles entières de 4 à 9 personnes vivent dans une seule pièce. La plupart d’entre elles ne possèdent pas plus d’une ou deux chambres. Certaines, cependant, n’utilisent pas toutes les pièces dont elles disposent. Celles-ci sont fermées et non aménagées. Une minorité de familles sont mieux loties et possèdent un nombre de chambres supérieur à 4.

b)      Manque d’aération : Le manque de fenêtres dans les maisons est une chose frappante. 112 maisons sur 188 n’en ont pas du tout. Parmi les autres, rares sont celles où il y ait à proprement parler des fenêtres. Ce ne sont pour la plupart que des orifices permettant l’aération et la lumière.

c)       Manque d’eau : L’eau courante n’existe que dans deux maisons : celle du cheikh et celle du directeur de l’école de l’Alliance. Pour les 186 restantes, il n’y a qu’une seule pompe, autour de laquelle naissent d’inévitables incidents entre les usagers. On trouve des puits dans quelques maisons mais l’eau y est en général très sale, polluée d’ordures et d’insectes. Quand ces puits se dessèchent pendant une période de l’année, on s’en sert comme une poubelle. Quand l’eau réapparait, elle est puisée et utilisée sans aucun nettoyage préalable du puits. L’orifice de ces puits est souvent découvert, ce qui constitue un danger pour les enfants qui circulent autour.

d)      Manque de canalisations : Dans de nombreuses maisons, il n’y a pas de canalisation directement rattachée à la canalisation centrale. Aussi l’évacuation des eaux de ménage se fait très mal.

e)      Manque de W.C : plus de la moitié des familles sont privées de W.C ou de fosses d’évacuation, soit par ignorance de leur nécessité, soit par manque de moyens de les aménager. Les terrains vagues remplacent les W.C. Situés généralement à proximité des habitations, n’étant jamais nettoyés, ils pullulent de vermines, de mouches, moustiques et rats et constituent une source permanente d’infection.

f)       Désordre et saleté : Il règne généralement dans les maisons un grand désordre et les ordures jonchent le sol. Toutes les opérations du ménage se font en effet par terre, par habitude, par ignorance ou par manque d’ustensiles et tous les déchets sont jetés sans soin n’importe où.

g)      Cohabitation d’animaux : Plus de la moitié de la population possède des animaux installés soit dans le couloir de la maison, soit dans la chambre même d’habitation, ce qui contribue à la malpropreté du logement.

h)      Manque de four : Toutes les familles confectionnent leur pain à la maison. C’est une sorte de galette cuite au charbon de bois dans une marmite. Aussi les murs sont-ils noirs de fumée. En outre, la cuisson de ces galettes exige des femmes qu’elles se tiennent à proximité du feu. Elles s’y brûlent souvent les mains et la fumée leur occasionne des écoulements de nez et des maux d’yeux.

 

2)      HYGIENE CORPORELLE

a)      Manque de bains : L’unique bain public de Taroudant est situé au souk, à une grande distance du mellah. Les familles juives ne le fréquentent pas afin d’éviter d’éventuelles rebuffades des indigènes du souk ou du bain et des altercations avec eux. Le bain rituel qui se trouve au mellah même dans une petite pièce sans éclairage n’est qu’une espèce de bassin malpropre dont l’eau verte provient de l’irrigation des champs voisins et cohabitent cafards, insectes divers et grenouilles.

Jeunes enfants juifs de Taroudant lors d'une visite en 1950

b)      Manque de coiffeurs : les coiffeurs sont rares. L’école exigeant que les élèves aient une tête rasée et propre, il arrive que ce soit les mères qui fassent elles-mêmes cette opération à l’aide de quelques vieilles lames qui ensanglantent la tête des enfants. C’est à force de coups que ceux-ci se plient à ce supplice.

 

3)      ALIMENTATION

Plus de 2/3 de la population souffre de sous-alimentation. Les cas sont nombreux de personnes jeunes mais usées, d’enfants sans vitalité. Du thé, de l’huile sur le pain constituent souvent à eux seuls le repas. En dehors des courges, navets, oignons et têtes de poisson, cette population n’a guère la possibilité de manger des légumes variés ou des mets nourrissants.

Un Juif de Taroudant - Marchand de légumes

Certaines famille sont les moyens de se nourrir convenablement, mais préfèrent économiser l’argent, convaincues que « n’importe quoi remplit l’estomac, même de l’eau ».

Par contre, il est fait une grande consommation d’eau de vie ou « Mahia ». Il existe en effet au mellah un comptoir de dégustation de mahia, vin, bière et rhum.

 

4)      TRAVAIL

Les conditions économiques de cette région n’offrent pas la possibilité d’emplois rémunérateurs et nombreux. Une grande partie de la population masculine se livre à de petits travaux peu productifs.

Juif de Taroudant - Le sellier

Quant aux commerçants, leurs crédits proviennent en général de la banque et sont affectés de délais de remboursement et d’intérêts sur le capital prêté.

18 chômeurs ont été dénombrés ; certains par suite de maladie, d’autres par fuite devant leurs responsabilités, la plupart à cause du manque d’emplois.

Les femmes qui travaillent sont presque toutes confectionneuses. Elles louent des machines à coudre mises à leur disposition par la Compagnie Algérienne sous la garantie du Cheikh. Plusieurs enfants de moins de 15 ans travaillent dans divers emplois.

 

5)      EDUCATION ET LOISIRS

Une école de l’Alliance Israélite existe depuis 30 ans. Elle comprend 3 classes. Le nombre d’illettrés en Français est considérable cependant parmi les adultes.

La vie au mellah de Taroudant est terne, monotone. Les jeunes n’ont pas le recours de la lecture, du cinéma, du sport, des chorales pour se distraire. En dehors des « hedarims », il n’existe pour les enfants ni garderie, ni jardin d’enfants.

 

Renseignements statistiques

sur la population israélite

de Taroudant

  

Les statistiques qui suivent ont été établies d’après les résultats de notre enquête  

        Nous donnons ci-après :

1)      Modèle des fiches d’enquête sociale utilisées.

2)      Situation démographique à la fin 1953 (tableau).

3)      Situation démographique à la fin 1953 (graphique).

4)      Nombre de pièces d’habitation par famille.

5)      Distribution des personnes par pièces.

6)      Statistiques diverses concernant l’habitat et l’hygiène.

7)      Age de mariage.

 

Situation démographique de la population israélite

de Taroudant à la fin de l'année 1953

Âge

Nombre

11 Mois

43

1 an

37

2 ans

46

3 ans

50

4 ans

33

5 ans

39

Total:

248 enfants de 0 à 5 ans

   

Âge

Nombre

6 ans

36

7 ans

28

8 ans

41

9 ans

9

10 ans

41

Total:

155 enfants de 6 à 11 ans

   

Âge

Nombre

11 ans

19

12 ans

24

13 ans

26

14 ans

16

15 ans

10

Total:

95 enfants de 11 à 15 ans

   

Âge

Nombre

16 ans

21 enfants

17 ans

10 enfants

18 ans

28 enfants

 

 

19 -25 ans

83 adultes

26 -30 ans

96 adultes

31 -35 ans

57 adultes

36 -40 ans

60 adultes

41 -45 ans

27 adultes

46 -50 ans

48 adultes

51 -55 ans

23 adultes

56 -60 ans

49 adultes

61 -65 ans

25 adultes

 

 

 Les enfants âgés de moins de 15 ans représentent un peu plus de 47% de la population totale. La population adulte se répartit sensiblement en 50% d’hommes et 50% de femmes