Les rapports trimestriels des instituteurs de l'Alliance

comme source ethnographique sur le judaïsme marocain.

Les Juifs de Taroudant, leurs métiers et leurs saints

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Suite de la 1ère Partie

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4. Les témoignages de Mathilde Benozillo

Mme Mathilde Bénozillo a passé près de deux ans à Taroudant comme adjointe de son mari, Elie Bénozillo, qui était directeur de l'école de l'Alliance, laquelle avait été ouverte un an avant leur arrivée37. Venant d'une grande communauté, Fez, où elle a passé 5 ans comme institutrice et où elle s'est mariée, après avoir fait des études secondaires et pédagogiques à Paris, elle s'est souvent sentie angoissée dans un lieu où il n'y avait ni médecin ni pharmacie. Dans un rapport qu'elle a écrit quelques années après son départ de Taroudant, elle a retracé son itinéraire d’enseignante qui l'a menée d'El-Ksar et de Fez à la capitale du Souss puis de nouveau à Fez après un  passage de deux ans à Salé. Elle y a particulièrement commenté son service à Taroudant: "Je n'oublierai jamais les premières sorties faites dans les rues tortueuses du Mellah. Ces bons Juifs, accroupis à la porte de synagogues, discutant tout bas, se levaient respectueusement à notre passage. Les femmes se mettaient à la porte, et quelques unes même s'avançaient vers nous en se courbant humblement et demandaient à embrasser pieusement ma main ou mon épaule. Et je me plaisais dans ce milieu si différent du mien, parmi ces gens si ignorants et si superstitieux, mais si bons et si honnêtes pourtant. Le bonheur que j'eu ressentais était, hélas, troublé chaque fois que mon enfant se trouvait fatigué par quelque petite maladie qui me rendait, malgré moi, triste et pessimiste"39.  C'est d'ailleurs le trachome contracté par son enfant qui les a décidés, elle et son mari, à demander leur mutation dans une ville côtière. C'est ainsi qu'ils arrivèrent en octobre 1932 à Salé.

 

4.1. Premier texte: métiers juifs à Taroudant

Dans ce rapport, le seul quelle a envoyé de Taroudant même, l'auteur décrit ou plutôt évoque les métiers qui étaient pratiqués par les Juifs à Taroudant. A de rares exceptions près, ils ont été exercés par eux probablement depuis des siècles, comme ils l`ont été jusqu'à leur départ définitif en Israël en 1962 et 1963. La "misère noire" qu'elle décrit ne concernait cependant qu'une partie de la communauté. D'autre part, ne décrivant que ce dont elle pouvait se rendre compte directement, elle ne s'est intéressée qu'aux métiers visibles; elle ne se doutait pas des autres liens économiques qui associaient des Juifs et des Musulrnans dans l'élevage du bétail et dans d'autres produits agricoles. De même, sa description des besognes des femmes juives ne prend pas en compte les couturières qui travaillaient chez elles, équipées de leurs machines à coudre Singer. Par ailleurs, les effets de l'instruction moderne n'ont commencé à se manifester pour quelques jeunes gens qu'après la Seconde Guerre Mondiale, quand ils ont pu accéder à des emplois de bureau en particulier.

 

Taroudant

Mme Benozillo

Taroudant, le 20 mars l93l

 

Madame Benozillo à Monsieur le Président de l’Alliance Israélite Universelle Paris

 

Monsieur le Président,

J`ai l'honneur de vous parler des métiers qu'exercent nos coreligionnaires de Taroudant. Dernièrement, en faisant à mes élèves une leçon sur la profession de leur père, j’ai été frappée par les réponses très peu variées que j'obtenais. Des mots: marchand d`étoffes, marchand de sucre et de thé, mercier, sellier et tamisier revenaient sans cesse au cours de ma leçon. Un peu curieuse de connaître quels autres métiers exercent encore les Israélites de Taroudant, je suis allée cette semaine voir le souk39.

Les Israélites éparpillés un peu partout dans la Médina (quartier indigène) ont choisi toutefois leurs boutiques dans des fondouks, dans des places E1 proximité du Mellah.

Les grands commerçants sont des marchands d'étoffes, de sucre et de thé. Ils sont installés dans un vaste fondouk. Leurs boutiques [?????] sont entourées de [?????]. Le client [passe] [?????]40 et s'arrête, examine un article, en discute le prix; en bas, il choisit la marchandise qui lui a paru la plus avantageuse.

Aux portes des fondouks, les merciers s'installent humblement par terre. Sur un sac de chanvre, ils étalent boîtes d'allumettes, écheveaux de fil, épingles, aiguilles, savons, colliers de perles, bougies, bonbons et épices. Les passants sont nombreux. Ils demandent un sou d`allumettes, deux sous de sel, cinq sous de fil. Le marchand sert ses clients avec patience. Il voit avec plaisir les modestes petites pièces d'argent remplir petit à petit son écuelle cachée sous le sac de chanvre. Pendant deux ou trois jours, il aura de quoi nourrir sa grande famille. Un sourire éclaire son visage de vieux qui incarne, avec sa barbe blanche et longue, ses cheveux ébouriffés sortant de sa calotte toute crasseuse, le type du Juif du Sous. Je le regarde un bon moment. Je m'approche de lui et lui demande des bougies, il m'en tend une et me dit: "Gib tlata so1di", apporte 3 sous. Il me sert avec empressement et me comble de bénédictions parce que je lui en achète une dizaine à la fois. Je m'engage ensuite dans la ruelle qui conduit au Mellah. Là, assis dans la poussière. une vingtaine de savetiers travaillent au seuil de leurs boutiques très obscures et fort petites. Certains [d'entre eux?] sont borgnes. Ils raccommodent péniblement les babouches. Ils ont pour tous instruments une grosse aiguille, une alène de [???], un couteau ou plutôt un rasoir. Le cuir dont ils se servent pour les réparations n'est autre que la peau de n’importe quelle bête qu'ils ont fait sécher au soleil et ensuite raclée pour en enlever les poils. Tout ce qu'il y a de plus simple, de plus primitif. Nous vivons au milieu des gens sûrement en arrière de quelques siècles.

Les selliers plus loin manient leur grosse aiguille et discutent entre eux. Ils ne sont pas nombreux. Il y a la des pères de famille qui travaillent à la journée pour un salaire médiocre, de pauvres malheureux comme la plupart des Juifs de Taroudant: comme ces orfèvres qui s'aveuglent à graver des poignards indigènes et autres bijoux en argent; comme ces ferblantiers qui fabriquent en série des lanternes et des cafetières et qui sont très heureux lorsque la journée leur rapporte deux ou trois francs.

Les femmes juives, poussées par la misère, quittent leur mellah pendant les jours de souk. Enveloppées entièrement du haïk blanc qui les distingue des mauresques, elles s'installent à l'entrée d'un fondouk et attendent que les Indigènes leur proposent du travail. Elles confectionnent des djellabas et des faragias qui doivent être rendues dans la journée même. Elles sont pliées sur leur ouvrage. L’endroit est obscur. Et ce labeur qui est certes une des causes [des maladies] d'yeux est très peu rémunéré. Parmi cette foule qui s'agite et qui travaille courageusement, on remarque avec tristesse de nombreux mendiants. De pauvres Juifs, jeunes gens ou vieillards, qui n'ont pas de métier vont de boutique en boutique, de fondouk en fondouk, en tendant la main. Ils demandent un peu de sel, un morceau de sucre, une bougie, une carotte, une pomme de terre, un sou que leurs coreligionnaires et les Arabes ne leur refusent jamais. Nous avons le grand espoir que la nouvelle génération qui fréquente notre école saura tirer profit de l’enseignement que nous lui donnons et pourra enrayer la misère noire qui règne au Mellah41.

M. Bénozillo

 

4.2 Deuxième texte: une haute figure de Taroudant

Rabbi David ben Baroukh Cohen Azogh, appelé affectueusement Baba Doudou, est né dans le dernier quart du XIXème siècle dans une famille de kabbalistes, qui étaient vénérés à Taroudant comme dans les autres communautés du Sous. Ils étaient considérés comme des saints et des faiseurs de miracles de leur vie comme après leur mort. Le fondateur de la lignée fut semble-t’il le kabbaliste Rabbi Yishaq Hacohen, qui a vécu dans la seconde moitié du XVIème siècle et au début du XVIIème et dont une œuvre kabbalistique a été récemment publiée42.

L'auteure du rapport trace ici un portrait personnel émouvant de Baba Doudou, dont la belle figure et le haut prestige dont il jouissait à Taroudant l'ont profondément impressionnée. La vénération qu'on lui portait s'est accrue encore plus dans les dernières années de sa vie, et les cérémonies qu'il présidait étaient empreintes d'une grave solennité. Son décès le 12 mars 1953 a été ressenti comme une véritable catastrophe par les Juifs de Taroudant.

 

 

Salé

Mme Benozillo

Salé, le 12 Décembre 1932

Madame Benozillo à Monsieur le Président de l'Alliance Israélite Universelle Paris

 

Souvenir de Taroudant

J’ai quitté Taroudant. J'en suis heureuse. Ie frémis toutes les fois que mes pensées me font revivre la vie douloureuse et primitive que j'ai vécue dans cette ville éloignée, perdue dans le Souss, au milieu des Indigènes qui m'aimaient certes beaucoup pourtant. Ce qui me revient seulement de ces armées avec un attendrissement véritable, c'est Monsieur Baba Dodou, le grand rabbin de Taroudant43.

Baba Dodou est un surnom, un terme de caresse qu'à l’unanimité la population du Souss donne à un de ses fils adulé. Son vrai nom est David Cohen. Baba Dodou signifie: David le chéri.

Baba Dodou est grand et beau, de caractère très doux et d'une extrême gentillesse. Il est adoré à Taroudant. En le voyant passer, les Juifs s`inclinent devant lui et viennent toucher sa tunique noire qu'ils embrassent avec piété. Les Arabes le respectent et l'aiment, et les étrangers qui le connaissent l'estiment énormément. Il est le petit fils44 de Rebbi Baruk le Saint de Taroudant, dont la tombe est un lieu de pèlerinage vénéré pour tous les habitants du Souss. Les Roudanis racontent avec émerveillement et respect les nombreux miracles faits par Rebbi Baruk. Les Arabes emprisonnent trois Juifs, les dépouillent et ils les maltraitent. Finalement, ils les tuent, Ils refusent de faire inhumer les cadavres qu'ils gardent avec vigilance. Rebbi Baruk intervient. Risquant ses jours, il va vers le lieu du crime, accompagné par une foule en délire. A sa seule vue, les bandits s'enfuient, disparaissent dans la montagne, les cadavres sont remis aux familles.

Baba Dodou a dans sa maison une chambre qui était celle dont se servaient son père et son grand-père toutes les fois qu'ils se livraient à 1`étude45. C'est là aussi que Baba Dodou se retire pour méditer comme l'ont déjà fait ses nobles aïeux. Obscure et poussiéreuse, cette chambre est aussi le lieu où les Juifs croyants, de passage à Taroudant, vont implorer le nom des grands saints qu'elle a abrités et où encore Baba Dodou aujourdhui, avec grâce et simplicité, bénit ceux qu'il aime.

Baba Dodou reçoit de nombreux cadeaux. Chaque année à Pâque ou à Soucoth les Juifs d'Igly, de Ras-el-Oued, d'Agadir ou de Mogador se font un devoir de lui envoyer, en témoignage de leur profond respect, des objets divers et précieux. Le puissant pacha de Taroudant, Hadj Hamed, revenant d'un voyage et Paris offre à Baba Dodou un merveilleux taleth. Baba Dodou reçoit ces présents avec bonhomie et remercie avec grâce.

A la porte de la maison de Baba Dodou il y a une mézouza, une mézouza vieille, une mézouza toute crasseuse. Tous les Juifs qui passent par là posent respectueusement leur main sur elle et la portent ensuite sur leur bouche. Plus d'une fois, j'ai été très touchée de voir aussi des enfants, tout jeunes, courir vers cette mézouza et presque automatiquement faire le même geste que les autres personnes, embrasser pieusement la mézouza bénie du Saint de la ville. Les Juifs fêtent le jeune marié à côté de cette mézouza. Ils se réunissent a la porte de Baba Dodou, embrasscnt la rnézouza, chantent et réclament leur "ange", Baba Dodou apparaît, majestueux. ll regarde un instant la foule, sourit, bénit le marié et se retire discrètement.

Baba Dodou a deux jeunes enfants qui fréquentent l'ecole. Doux et polis, ces enfants se font beaucoup aimer de leurs camarades. Ceux-ci vont même jusqu'au sacrifice pour Baba Laziz46 (Laziz, le chéri) ou lala Rachel (Rachel l'aimée)47. Je me souviens qu'un jour une faute grave avait étécommise dans la classe. J’en demandais le coupable. Je devinais, c`était le "petit chéri". Quelle ne fut ma stupéfaction de voir une petite élève, d'ordinaire très calme, lever le doigt, et déclarer résolument être responsable de la faute. Comme je ne me laissais pas prendre dans le piège et lui demandais le motif de son acte généreux, elle me répondit: "Je ne veux pas Laziz pleure. Baba Dodou n'a que lui". C'était par amour, par respect pour le grand rabbin que la petite innocente prenait la place du coupable.

Pendant mes deux années de Taroudant, j'ai beaucoup fréquenté la famille de BabaDodou. Je remarquais le consentement de tous, grands et petits, riches et pauvres, à ce respect pour Baba Dodou et je m’en m’en émerveillais. Dés le commencement de mon séjour à Taroudant, j’ai deviné en Baba Dodou l'homme qui domine les autres hommes, celui qu'on consulte avec déférence et qu'on écoute avec conviction. Comme les autres, j'ai appris à l'estimer et à le respecter48.

 

signé: Bénozillo

 

 

4.3. Troisième texte: Une dynastie de saints

Ce troisième rapport concerne la lignée des saints de Taroudant et de toute la région du Souss et le pélerinage que l'auteure a effectué à Aghzu n-Bahamu, près d`Oulad Berrhil, qu'elle situe a Ras-al-Wad. La description qu'elle donne de l'état du cimetière visité et des tombes qu'il renferme est saisissante, quand on connaît l'état actuel des lieux. Toutes les tombes ont été restaurées et blanchies à la chaux ces trente dernières années; des épitaphes en marbre ont été apposées sur les tombes de Rabbi David Ben Baroukh et de son fils Rabbi Baroukh, et un sanctuaire leur a été réservé. De plus, un complexe hôtelier offrant les meilleures commodités a été construit dans le périmètre du cimetière qui permet de loger confortablement les nombreuses centaines de pèlerins qui viennent chaque année en décembre à la Hiloula du saint. Tous ces travaux de rénovation et d'entretien sont l'œuvre de Baba Laziz, fils de Baba Doudou, et de ses enfants, avec à leur tête David, qui continuent de s'y investir et de diriger les cérémonies des différentes hiloulot à Mentaga (le 9 Eloul), à Aghzu n-Bahamu (les 2 et 3 Tevet) et à Taroudant (25 Adar).49

 

  

Salé -Benozillo

Salé, le 2 janvier 1933

à Monsieur le Président de l'Alliance lsraélite Universelle

Paris

 

Monsieur le Président.

 

             Madame Bénozillo, dans son rapport de Décembre, vous a raconté brièvement quelques faits de la vie du grand Rabbin de Taroudant, Rebbi David Cohen. Je me fais un devoir de vous relater le pèlerinage que j'ai fait sur la tombe de son grand-père50: Rebbi David ben Baruch.

Rebbi David ben Baruch est originaire de Ras-el-oued, situé à 60 kilomètres de Taroudant:51 c'est là que se trouve sa tombe. On y accède très difficilement. Il faut obtenir au préalable une permission des affaires Indigènes de Taroudant pour pouvoir entrer à Ras-e1-oued. Il faut en outre y aller un jour de souk (marché),52 car un service régulier n'existe pas entre Taroudant et cette ville.

Le voyage en est pénible. Les pistes qu'il faut traverser sont horribles,53 et la voiture met plus de trois heures pour faire le trajet. Le chauffeur me fait descendre au souk. La tombe vénérée en est à 5 kilomètres. Moyennant un gros fabor54, un petit israélite consent à m'y conduire. A la vue du cimetière, j'éprouve une grande déception. Je pensais trouver une tombe grande, haute, une belle construction comme en ont quelques saints qui reposent au cimetière de Fez. Je n'ai trouvé qu'un tout petit monticule fait de quelques briques. Pas la moindre inscription qui puisse révéler au passant croyant les nobles traces du grand homme. Le rabbin de Ras-el-oued vient au devant de moi. Je lui demande comment parmi ces monticules, tous pareils et qui représentent des tombes, pouvait-il s'y reconnaître? Le Rabbin sourit. On aurait dit qu'il s`attendait à la question. Il soulève alors une pierre et me montre une espèce de cachette. Il en retire un papier où je lis le nom du défunt. Tandis que je cause avec le rabbin, des pèlerins venus des alentours, s'agenouillent prés de la tombe et commencent leurs lamentations. Rebbi Baruch55 a le pouvoir de guérir les maux incurables. Une femme l'implore en faveur de son fils aveugle. Une autre lui demande de lui donner la joie d'être maman. Le rabbin m'invite à me déchausser ct à m’agenouiller également aupres de la tombe. Je me recueille un moment pendant lequel le rabbin récite le Kaddish. J’embrasse la tombe en collant mes lèvres contre la terre. J'allume quelques bougies ainsi que le veut l'habitude et je me retire respectueusement en marchant à reculons.

Le pèlerinage m'a émue profondément. Unanimement, les Juifs du Souss vénèrent le saint de Ras-el-oued. Mais cette tombe si sacrée pour nos coreligionnaires est profanée par les Arabes. Ceux-ci circulent à travers le cimetière juif et foulent à leurs pieds les tombes, grandes ou petites, sans aucun scrupule.56 Les Juifs voient ces profanations avec résignation. Ils n'osent pas protester. Craignent-ils les Arabes? Il faut le croire. Quelques Israélites de Mogador proposèrent d'élever un mausolée sur la tombe de Rebbi Baruch.57 Mais le petit fils,58 Baba Dodou, refusa cette initiative bien généreuse. D'après lui, ce serait offenser la mémoire de son aïeul: Rebbi Baruch59 a été modeste de son vivant, il devra 1'être après sa mort.60

 

signé: Bénozillo

Vu et transmis le 5 janvier 1933

Le directeur.

 

 

 

5. En guise de conclusion

Les nombreux rapports d'instituteurs et la multitude de lettres et de rapports adressés par les directeurs des écoles au siège central de l'Alliance renferment une mine inépuisable d'informations, de commentaires et d'analyses sur les communautés juives durant le dernier siècle de leur présence au Maroc. A ce titre, ces archives forment une source ethnographique incontournable pour tous ceux qui s'intéressent au devenir de ces communautés, à leurs formes de vie quotidienne, à leurs croyances et à leur habitus culturel dans de très nombreuses communautés, urbaines, rurales ou semi-rurales.

Pour l'historien et l’ethnographe avisés, il y a là une quantité innombrable et diversifiée de documents et d'analyses produits par des observateurs, qui se voulaient presque tous extérieurs tant humainement que culturellement aux communautés qu'ils décrivent. Cependant, ce réservoir archival ne saurait être déchiffré et exploité au premier degré de l’argumentation qui y est développée et des convictions qui y sont affirmées. Les voix profondes et multiséculaires de ces communautés qui ont survécu à la pénurie, aux spoliations et aux humiliations y manquent cruellement.

Cela est dû principalement aux partis-pris et au zèle modernisateur et civilisateur des fondateurs et des enseignants de l'Alliance, qui se sont investis pleinement dans ce qu'ils considéraient comme une œuvre ou une mission de régénération sociale et de transformation culturelle et humaine de ces communautés. Mais cela est dû aussi à la fragmentation et à l’autarcie communautaire, qui étaient de règle depuis le Moyen-âge au moins et qui ont empêché les communautés judéo-marocaines de prendre en main leurs destinées et de gérer ensemble les bouleversements internes et externes, les transformations souhaitées et non souhaitées, ainsi que les aménagements et réorientations qu'i1 était nécessaire d'introduire dans leur habitus socioculturel en fonction de ces changements. Lorsque des conditions favorables se sont imposées d'elles-mêmes après la Seconde Guerre Mondiale et ses terribles souffrances et à la suite de l’exténuation du pouvoir colonial de la France, ces communautés ont connu une renaissance culturelle et une action économique et sociale qui semblaient les remettre sur la voie de 1'auto-détermination et de 1'auto-gouvernance. Mais cette période fut de très courte durée, une dizaine d'années a peine, de 1946 à 1956. L’indépendance du Maroc et l'appe1 obsessionnel d'Israël et de ses promesses messianiques ont fait de ces "dix glorieuses" une courte étape seulement dans la dispersion des centaines de communautés juives du pays et de leur régénération ou leur extinction sous d'autres soleils et en d'autres continents61.

 

37        Le premier directeur et instituteur a été Joseph Bassan, né à Andrinople en 1907. Avant d`arriver à Taroudant, il avait enseigné À Mogador depuis 1923. 

35        Voir le rapport daté du 12.12.1935 dans la liasse Maroc I B 5.034. 

39        La plupart des commerçants ct artisans juifs avaient des échoppes en dehors du mellah, dans des marchés et fondouks, parmi les marchands musulmans. Seules quelques épiceries et une boucherie kasher étaient tenues au mellah même. 

40        Ces lacunes sont dues à une photocopie défectueuse de l’original. 

41         Archives AIU Maroc, liasse Salé VI B 27. 

42        C’est l'auteur de Guinat Bittan. 

43        Baba Doudou n'a jamais exercé de fonction rabbinique officielle à Taroudant, mais seulement une fonction symbolique. Avant la Seconde Guerre Mondiale, il tenait un magasin de sucre et de thé, qu'il vendait en gros. Pendant la guerre, il était responsable du rationnement de ces denrées. 

44        En fait, c'est son fils et non son petit-fils. 

45        La chambre portait un nom spécial: "Arba' Arasot' [=les quatre pays/continents]. Des habitués s`y rendaient tous les samedis soir pour y lire et commenter des pages du Zohar, l'œuvre princeps de la mystique juive, dont de nombreux exemplaires y étaient entreposés. 

46        Son nom réel est Baroukh Ben David Cohen Azogh. Né à Taroudant vers l925, il est décédé en 1996 et enterré à Casablanca. Pendant de longues années, il s`est occupé à faire du site de son aïeul, Rabbi David Cohen Azough, dont il sera question dans le troisième rapport, un haut lieu de pèlerinage, doté d'un confort hôtelier pour les centaines de pèlerins qui se rendent sur les lieux. 

47        Mariée a Isaac Cohen de Mogador, installé à Taroudant, elle a immigré avec sa famille en 1962 en Israël, où elle est décédée en 2007.

48        Archives AIU Maroc, liasse Salé VI B 27.

49        Lire la description bien détaillée faite par Georges Sebat de la Hiloula de décembre 2009 et du grand confort qui a été aménagé dans le périmètre du cimetière d'Aghzu n-Bahamu près d'Oulad Berrhil, dans le site: http://juifdumaroc.over-blog.com

50        En fait, c'est son arrière grand-père.

51        La distance en est de 35 km seulement.

52        Un marché hebdomadaire, at tlata d-al-Mnahba, continue de s'y tenir tous les mardis.

53        Une route goudronnée a remplacé ces dernières années la piste, qui devenait impraticable lors de fortes pluies et de crues de la rivière voisine.

54        Pourboire. Dérive de l’espagnol favor.

55        Erreur sur le nom. En fait, il s'agit de Rabbi David Ben Baroukh. Rabbi Baroukh est le fils de ce dernier; il est enterré près de lui.

55        Depuis les années soixante, le cimetière est entouré d'un haut mur.

57        Cf. note 55 supra.

58        Il s’agit en fait d'un arrière petit fils.

59        Cf. note 55.

60        Archives AIU Maroc, liasse Salé VI.B.27j. 14.

61        Sur cette période cruciale, voir les numéros de l'hebdomadaire "La voix des communautés", qu'on peut consulter sur le site: http://www.jpress.org.il/publications/VDC-en.asp, ainsi que l'étude fouillée de Yaron Tsur (Tsur, 2002).

 

Références bibliographiques

 

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Ben-Ami, 1984 = I. Ben-Ami, La vénération des saints parmi les Juifs marocains (en hébreu), Jérusalem: Magness Press, 1984.

Berthier, 1964 = P. Berthier, "La canne à sucre, richesse de l'ancien Maroc", Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 108e année, n° 2 (1964), pp. messe.

Berthier, 1970 = P. Berthier, "Les anciennes sucreries du Maroc et leurs réseaux hydrauliques", Revue de l’Occident musulman et la Méditerranée, n° 23 (1977), pp. 225-229.

Chetrit, 198/1983 = J. Chetrit, "Notre célébration de la fête de la Mimouna à Taroudant dans la vallée du Sous" (en hébreu), dans   Elkayam (ed.), Mimouna 1982, Tel-Aviv 1982 (réédition en 1983), pp. 21-24.

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Ouvrages kabbalistiques des XVIe-XVIIe siècles

Guinat Bittan = R. Yitshak Hacohen, Guinat Bittan (en hébreu), avec une introduction en hébreu et en français de Moshé Hallamish, Lod: Oroth Yahdout Hamaghreb, 1998.

Hékhal Haqodèch = R. Moché Bar Mimon Elbaz, Hékhal Haqodèch (en hébreu), avec une introduction en français de S. Benzaquen, Jérusalem: Or Hamaarav Éditeur, 2005.

Pérah Shoshan = R. Yaacov Ifergan, Pérah Shoshan: deux commentaires du Pirké Avot (en hébreu), avec une introduction en français de S. Benzaquen. Jérusalem: Or Hamaarav Éditeur, 2007.