Imprimer cette page

Hekhal Hakodesh - Rabbi Moshe Bar Maimon Elbaz


Cet article sur l’une des sommités de la Kabbale, de la région du sud-ouest du Maroc, pour la nommer, la région de Taroudant, est un immanquable car il nous fait découvrir ce grand Kabbaliste que fut R Moshe Ben Maimon Elbaz z’’tl certes, mais également nous replonge dans la vie d’antan et nous donne ainsi plus de détails de cette vie d’autrefois dans la région.

Georges SEBAT 

 

ספר

היכל הקודש

רבנו

משה בר מימון אלבאז

זצוק״ל

--------

HEKHAL

HAKODESH

Rabbi Moshé Bar Maimon Elbaz

z’’tl

 

Note de l’éditeur

Le Maroc a été béni d'un grand nombre de kabbalistes qui ont illuminé le monde par leurs écrits et leurs connaissances.

Les disciples du Na'hamanide 12eme siècle, qui a transmis la massoret de la Kabbale des maitres de la Michna, s'éparpillèrent en grande partie au Maroc, particulièrement dans le Sud du pays, aux abords du désert du Sahara. Là, ils se retranchent des préoccupations terrestres et se consacrent à la réflexion spirituelle. Ce mouvement va en s'amplifiant et l'exil d'Espagne amena de nombreux rabbins et kabbalistes au Maroc.

Dans toutes les régions du Maroc, nous rencontrons des érudits géants dont la renommée dépasse les frontières et les mers qui deviennent des classiques dans l’étude de la Kabbale. , A Marrakech, nous trouvons Rabbi Abraham Azoulay dont les disciples sont Rabbi Chalom Bouzaglo, Rabbi Ya'aqov Pinto et Rabbi Ya'aqov Guédalia. Ils sont les auteurs du fameux commentaire du Zohar, Miqdach Mélekh, indispensable à la compréhension du Zohar.

A Fès, Rabbi Abraham Azoulay, grand-père du 'Hida, Rabbi 'Haim Yosset David Azoulay, est l'auteur du 'Hessed LéAbraha1n et de Qiriat Arba' (Zoharé 'Hama ) commentaire du Zohar. Rabbi Nissim Ben Malka, auteur du Tsénif Méloukha. A Fes, centre de la Halakha au Maroc, les décisionnaires étaient également versés dans l'étude de Kabbale.

A Sale, la ville de Rabbi Yosset Gikatilia, l'auteur du Chaiaré Ora, Rabbi Ya'aqov Sasportas et Rabbi Yéhouda Siboni, Rabbi 'Haim Bénatar, auteur du Or Ha'hirn, Rabbi Moché Abensour, auteur du Mé'arat Sédé Harnakhpéla, poème résumant le Otsrot 'Haim du Arizal, Rabbi Its'haq Sabba’h auteur du Méqom Bina et Cha’aré Bina.

Mogador est la ville du fameux Rabbi Haim Pinto connu pour ses miracles. Le sud-est du Maroc, le Tafilalet est le berceau de la famille Abou'hatséra renommée pour sa connaissance profonde de la Kabbale.

Au sud-ouest, la région du Taroudant a vu des générations de Kabbalistes dont le plus grand que nous connaissons est l'auteur de notre livre, Rabbi Moché Bar Maimon Elbaz, Il est contemporain du Arizal, début du 16eme siècle. Les oeuvres de deux de ses disciples, Rabbi Ya'aqov lfergan et Rabbi Yossef Hacohen, nous sont parvenues et ont été partiellement éditées.

L'œuvre que nous présentons, Hékhal Haqodech, est un commentaire des prières quotidiennes, du shabbat et des fêtes. La prière composée par les anciens de la Grande Assemblée de Jérusalem, juste avant le grand exil du peuple juif, il y a 2000 ans, n'est pas simplement un monologue du fidèle qui présente ses doléances mais avant tout un texte compose de codes et de clés qui ont la faculté de traverser des milliers de lieux et de se placer dans les sphères célestes. Les paroles de prières ainsi rédigées attirent des flots d'abondance et les dirigent vers notre monde. Notre auteur s'appuie sur le Zohar pour interpréter la prière, il nous enrichit encore d'un commentaire de ce grand livre.

Cette œuvre de Hékhal Haqodech a été rédigée en l'an 1570 dans des conditions difficiles lors de vagues d'épidémies et de pillages. En 1640, Rabbi Ya'aqov Sasportas, lui-même kabbaliste, se charge de l'édition à Amsterdam. Il ajoute au texte de son maître des notes de Rabbi Yéhouda Siboni de Salé, précisant ainsi l'opinion du Arizal, dont les enseignements sont déjà très répandus et devenus d'autorité dans la Kabbale.

Taroudant est resté pendant des siècles le centre de kabbalistes. La dynastie des Cohanim, Rabbi David BenBaroukh, Rabbi Pin'has, et Rabbi 'Hanania Hacohen sont trois illustres exemples de maillons de cette chaine d'or de Taroudant.

Le judaïsme marocain est très imprégné d'idées et de comportements basés sur la Kabbale. Tous lisent le Zohar comme on lit les Téhilim, Les notions du judaïsme les plus profondes telles que le libre arbitre, récompenses et châtiments, la providence et la foi, qui exigent des années d'étude et de compréhension, sont considérées par le juif marocain comme notions élémentaires; elles imprègnent tous ses faits et gestes et le rendent croyant, spirituel, digne serviteur du Maitre du Monde. Voilà qui explique comment le juif du Maroc après s'être éloigné du judaïsme pendant deux générations, revient à grands pas vers ses sources et fréquente les synagogues, les maisons d'études et les écoles juives.

Nous tenons à remercier tous ceux qui nous ont encourages par leur générosité à éditer cette belle œuvre. Rabbi Makhlouf Benlchay est de ceux qui, après 50 ans de vie en Israël, a gardé la chaleur, la ferveur, l'amour de la Tora et l’attachement à ses Rabbins, rabbins du Maroc. Que D. lui prête longue vie et lui accorde la joie de voir sa descendance dans le droit chemin.

A cette entreprise s’est associe notre ami, Salomom Benzaquen, érudit et très versé dans le sujet que nous traitons, qui a enrichi cette édition d'une préface importante. Nous l'en remercions très chaudement et lui souhaitons d’agrandir le cercle de ses élèves afin de sanctifier le Nom de Dieu.

Cette édition forme un maillon supplémentaire à la chaine de livres inédits, et inconnus dont nous avons pris la charge, depuis plus de 20 ans, de diffuser. Que Dieu nous aide à assumer cette noble tâche et ainsi à dévoiler le riche patrimoine intellectuel du judaïsme marocain.

  

Rav Meir Abitbol \ Fondateur – Directeur.

 

 

Ouverture

Un grand livre émerge à nouveau des affres de l'oubli grâce aux soins diligents de l'Institut Bnéi Issakhar (The Sephardic Library) de Jérusalem ; il s'agit du « Heykhal Hakodesh » du Rav Moshé Bar Maimon Elbaz. Rédigé au 16ieme siècle a Taroudant et Akka dans le sud du Maroc, il fut édité en 1653 à Amsterdam par le Rav Yaacov Sasportas qui produisit, à cette occasion, une introduction d'un grand niveau sur le thème des Sephiroth.

Originaire d’Oran (Algérie) le Rav Y. Sasportas (1610-1698) fit une grande partie de sa carrière au Maroc (Fés, Salé) où il fut initié (insuffisamment dit-il) à la Kabbale. Dans son introduction il semble associer le « système » kabbaliste de Rabbi Moshe Elbaz aux thèses du Ramaq (Rabbi Moshé Cordovero, 1522,-1570) alors même que l'auteur affirme n'avoir été inspiré que par le Zohar de Rabbi Shimon Bar Yo'hai.

Dans I'édition originale, cette introduction est accompagnée de notes de Rabbi Aharon Hasib'oni, kabbaliste marocain notoire, dont I ‘inspiration, par contre, est plutôt conforme aux thèses du ARI (Rabbi Isaac Louria, 1534-1572.), quelque peu différentes de celles du Ramaq. Tous deux, Rabbi Y.Sasportas et Rabbi A. Hasib’ôni, furent parmi les fers de lance du combat contre les idées de Sabbatai Tsvi (162.6- 1676) au Maroc et l'on peut se demander dans quelle mesure la position idéologique du Rav Y. Sasportas ne fut pas étrangère aux difficultés financières qu'il rencontra pour l’édition du Heykhal Hakodesh. L'édition d'ouvrages kabbalistes, en Hollande, à l'époque, devait probablement souffrir de Ia confusion créée par le Sabbataisme ainsi qu’en témoigne une lettre du Rabbin de Rotterdam, Rabbi Josiah Pardo, en janvier 1667. Reconnaissant son passé sabbataiste (jusqu'à l'apostasie de Sabbatai Tsvi) il y adjurait son ancien élève Isaac Sarouk d'abandonner sa foi, ce dernier ayant à maintes reprises traité Rabbi Yaacov Sasportas de querelleur, Dans ces conditions, l'aide apportée à Rabbi Y. Sasportas par la Yeshivah locale « Or Ha'haim» où il enseignait, avait, probablement, un caractère tout à fait exceptionnel, l’histoire du mouvement kabbaliste au Maroc a été amplement décrite et analysée par des auteurs de renom tels Gershom Sholem (Sabbatai Tsvi), Haim Zafrani (Ethique et Mystique ; Kabbale, Vie mystique et Magie) ou Moshé Hallamish (La Kabbale en Afrique du Nord au 16ieme siecle). Nous n'y reviendrons que partiellement et il conviendra de s'y référer pour plus de détails, l'objet de ce texte n'étant pas de reprendre ce qui a été amplement et savamment développé par ailleurs.

Le Rav Moshe Elbaz, appelé par ses disciples Rabbi Moussa ou encore Rambam Elbaz, fut la pierre angulaire d'une école originale aux confins du Sahara Marocain, a Taroudant, dans une région, la plaine du Sous, à la croisée des circuits marchands de l'époque et au débauché des caravanes du Soudan.

Annexée au 11ieme siècle par les Almoravides, maintes fois détruite et reconstruite, la ville de Taroudant connut au 16ieme siècle une véritable apogée ; elle tut en son temps un véritable lieu de civilisation ce qui explique peut-être l'existence en son sein d’une communauté juive conséquente. Rédigé sur une période de 24 ans (1575-1599), le « Heykhal Hakodesh» témoigne d’un grand labeur intellectuel ; ce n'est pas un livre instinctif, composé d'un trait, dans une sorte de pulsion prophétique, comme le furent parfois certains écrits kabbalistes. C’est un véritable livre d’étude, empli de références détaillées et qui nécessite une attention soutenue. Il faut reconnaitre que la matière de l'ouvrage, c'est à dire la correspondance entre les Sephiroth, les Kawanoth (intentions mystiques, concentrations de l'esprit), et la Tephilah, ne se prête guère à une lecture superficielle.
 

Le Rav Moshe Elbaz raconte dans son introduction les épreuves qu’eurent à subir ses élèves et surtout la précarité de leur existence quotidienne confrontée à des catastrophes naturelles (famine, épidémie) et à la cruauté de féodalités locales. Malgré cela il est surprenant de constater le degré de sérénité qui fut le sien ainsi d'ailleurs celui de son élève, Rabbi Yaacov Ifergan (auteur du Min'hah Hadashah, dont la rédaction débuta en 1619), et qui relate des événements similaires. Sérénité en effet dans la mesure où ces épisodes dramatiques étaient attribués aux fautes de la génération, sans plus de détails sur la nature de ces fautes. Il suffisait apparemment, à ces êtres d’exception, de signifier ces événements en les inscrivant, au moins formellement, dans une vision cosmique de l'histoire, malgré la situation particulière de leurs micros communautés apparemment coupées du monde dit « civilisé». Comme si toutes ces péripéties, plutôt dramatiques, s'interpénétrant les uns les autres pour se fondre dans une avalanche de souffrances personnelles, alimentaient une forme de stoïcisme universel, l’exil étant considéré comme la clé d'accès du salut auquel manifestement tous aspiraient.

Il convient de rappeler à cet égard l'influence du contexte qui manifestement facilita l'éclosion et le développement du mouvement kabbaliste dans le monde et plus particulièrement dans le sud du Maroc. Ainsi, 1492 fut, non seulement l'année de l'expulsion des juifs d'Espagne mais également (selon certains) l'année du passage du Moyen Age à la Renaissance. Espace-temps d’innombrables turbulences, le Moyen Age dura environ 1000 ans au cours desquels la population européenne avait doublé, les mœurs et les idées avaient évolué. C'est donc dans un contexte de rupture universelle que les textes essentiels de la Kabbale apparurent de manière systématique. Le sud du Maroc, détenteur des premiers manuscrits du Zohar parus en Espagne vers 1200, joua, a cet égard, un rôle déterminant, surtout pour la diffusion des textes du Zohar Hadash. Peut-être également faudrait-il rechercher des raisons locales a un tel engouement, notamment la proximité, historique et régionale, des Almoravides (Al Morabitoun). Hommes de grande piété mais également guerriers valeureux capables de « faire » l'histoire, ils apparaissaient aux yeux de communautés diminuées socialement comme les vrais détenteurs de significations cachées. Enfin, ne dit-on pas avoir trouvé des traces de présence juive (associées à l'exil qui suivit la destruction du 1ier Temple par Nabuchodonosor) dans cette région plusieurs siècles auparavant ? L'univers juif dans le sud du Maroc fut, quelque part, malgré l'absence de traces archéologiques précises, le dépositaire d'une histoire particulièrement riche, et dont les ouvrages dépassent singulièrement l'espace étroit ou ils prirent forme.

L'école de Taroudant demeure en ce sens le modèle extraordinaire de ce qu'une communauté d’étude, marginalisée par l’histoire et les aléas sociaux, est susceptible néanmoins de produire. Démunie d'ouvrages de référence, ayant peu d'accès, du moins en apparence, aux livres clés de la pensée juive édités en Europe, l'Ecole de Taroudant appelée par de nombreux auteurs « Hakhmei Draa », le sages du Draa (ou encore les kabbalistes du Draa), est un exemple intéressant de psychologie introspective construite au travers des catégories abstraites de la Kabbale. Les références littéraires du groupe, assez homogènes, traduisent une forme de pensée cohérente inspirée, pour la plupart, par le Sepher Yetsirah, le Sha'arei Orah de Rabbi Yossef Guikatilia, les commentaires sur la Torah du Ramban et de Rabeinou Bé'hayé, le Sepher Ma'é`1relchet Haelokout, le Sepher Hay'houd, et surtout le Zohar auxquels ils attachaient autant d’importance qu'au Pentateuque ou au Talmud. Peut-être eurent ils accès au commentaire du Sepher Yetsirah du Rav Yehouda Ben Nissim Ibn Malka qui vécut vers le milieu du 13ieme siècle au Maroc et que Guershom Sholem présentait comme un kabbaliste atypique. Peut être également ont-ils étudié le Sepher Abnei Zikaron du Rav Abraham Bar Shlomo Adroutiel qualifié par les disciples de Rabbi Moshe Elbaz de « kabbaliste divin, lumière d'Israël » et qui vécut à Fès deux générations auparavant. Peut-être enfin ont-ils eu connaissance d'ouvrages apocryphes dont l’on n’a pu jusqu’ici retrouver la trace ni vérifier de fait l’authenticité. Leur bagage intellectuel était assurément diversifie même s'ils ne citent pas expressément toutes leurs références ; ainsi trouve-t-on dans le Heykhal Hakodesh (p.45) une référence a Rabbi Isaac Arama auteur du Aqedath lts'hal alors même que les thèses de cet auteur (mort à Naples en 1494) semblent assez éloignées de l’univers kabbaliste.

L’origine du groupe demeure assez confuse bien que probablement associée aux enseignements de Rabbi Yossef Ben Shalom Ashkenazi qui vécut à Taroudant vers 1464 ou encore à ceux de Rabbi Isaac l’Aveugle ainsi qu’à certains kabbalistes exilés d'Espagne. Trois élèves émergèrent apparemment au sein du groupe, le Rav lsthak Bar Abraham Hacohen auteur du 4 « Guinat Bitan », sorte de lexique détaillé des expressions et catégories propres à la Kabbale, le Rav Yaacov lfergan auteur du Min'hah Hadashah (commentaire sur la Torah inspire du Zohar) et du « Pera'h Shoushan » commentaire dual (sens littéral et sens kabbaliste) sur le Traité des Principes ; enfin le Rav Yehouda Hanin, oncle du précédent, qui s’exila en Algérie après les événements dramatiques évoqués plus loin. Tous trois vénéraient assurément le Rav Moshe Elbaz, qualifié de sage et de divin, et dont ils se reconnaissaient les fidèles disciples. Ce qui demeure à peu près constant c'est l’omniprésence du Zohar dans le Heykhal Hakodesh sans trace veritable d'une influence des kabbalistes de Safed. Retenons toutefois l’hypothèse de Moshe Hallarnish qui pense avoir trouvé dans le Heykhal Hakodesh une allusion à la Kabbale de Safed (Ramaq et Ari) à propos, notamment, du rituel de la Kabbalath Shabbat (prière du vendredi soir).

L'on ne peut comprendre l’envergure et la profondeur du « Heykhal Hakoodesh» si l'on n’évoque, au préalable, les épreuves, sociales économiques et « politiques», insupportables que cette petite communauté eût à subir et qui en retracèrent la rédaction. Leur manière stoïque d'assumer les souffrances de l'exil montrent bien le lien essentiel qu'ils percevaient entre l'exil et le salut, notions largement inspirées du Zohar et que tant d'auteurs développeront à leur manière. A l'instar peut-être du Maharal de Prague (1512-1609) qui enseigna, longuement, la correspondance que nous devions en permanence avoir à l'esprit entre l'exil et le salut, ce dernier ne pouvant être imaginé que du dedans de l'exil d'où la similitude des deux termes, Galouth et Gueoulah (Netsa'h israel). Nous aurions presque un effet de miroir entre les deux concepts de sorte que l'un enseignerait l'autre indéfiniment, et c'est bien ce rapport complexe qui traverse nombre d'ouvrages kabbalistes ainsi d'ailleurs que le « Heykhal Hakodesh ». Cette sérénité du Rav Moshe Elbaz, face aux épreuves de tous ordres qui avaient assailli et démantelé sa communauté, témoigne dans le même temps d'une grande confiance dans une issue heureuse, c'est-à-dire l'arrivée du Messie et la réintégration de la terre promise (ce que réussiront plus tard certains kabbalistes du Draa établis à Safed et intégrés au mouvement lourianique). Aussi l'ouvrage est tout entier centré sur le rituel des prières considérées par la Tradition comme un substitut aux sacrifices du Temple ainsi que l'enseigne le Talmud, citant le prophète (Osee 14-3) : « Ounshalma Parim Sephateinou » « Nous remplacerons les taureaux par nos lèvres ». Or cet intérêt exceptionnel pour la prière traduit comme une double revendication ; d'un côté une demande pressante afin que cesse cet exil insupportable ; d'un autre côté la revendication du statut de « Tselem Elokim» cette « Image» de la Transcendance promise à l'homme dans la Genese et quelque part incompatible avec les tribulations de l'exil. L’ensemble des Kawanoth, intentions ou orientations mystiques, découle de cette double exigence même si, chez certains, elle prit parfois la forme d'un délire de revendication (Abraham Aboulatia par exemple, 1240-1300 '?).

Paradoxalement la rédaction de l'ouvrage tut entreprise au beau milieu d'épreuves (1575), comme le précise le Rav Elbaz, alors même que d'autres soucis majeurs de survie, individuelle et collective, devaient occuper chaque instant de son existence. Et s'agissant d’un ouvrage centré sur la liturgie (la Tephilah est l'exemple partait des Mitsvoth liées au temps), comment apprécier cette attention particulière àa des pratiques dont la Tradition est supposée nous dispenser dès lors que la vie est en danger ? Il y a là comme un renversement des priorités qu'il n'est guère possible de négliger. De même le Rav Yaacov Ifergan commença la rédaction de son Pera'h Shoushan (Fleur de Lys) en 1610 alors même qu'il quittait Akka, en pleine crise, pour trouver refuge dans un village alentour. Il est extraordinaire en effet de voir ces maîtres s'évader, par la pensée, vers ces mondes abstraits où se ferait la jonction entre les Sephiroth déréalisées et le rituel tangible de la Tephilah quotidienne, alors même que leur univers immédiat brulait sous leurs pieds. Cette manière de résister au réel, voire de le sublimer, relève d’une forme d’ascèse nécessairement en phase avec une immense connaissance des thèmes de la Kabbale et une intuition aigué des comportements humains. Elle est, de surcroit, pleine d'enseignements pour notre génération ou l'exil est systématiquement occulté avec pour conséquence un assombrissement notoire des perspectives de salut. Le Heylchal Hakodesh rappelle non seulement l’obligation d'étudier la Torah chaque nuit mais également celle de vivre intensément l'exil : « tout le temps que dure l'exil il incombe à chacun de prendre le deuil et de se lamenter toutes les nuits a propos de la destruction du Temple » (p.2.2.)

Evoquant ci-dessus la sérénité qui émane du « Heykhal Hakodesh » ou encore du « Min'hah Hadashah », il nous a semblé intéressant de rappeler la manière détachée dont le Rav Moshé Elbaz relate la série de drames qui le frappèrent lui et son groupe :
« Alors que les rédacteurs de commentaires sur la liturgie ont tenté, selon les règles de la torah, de dévoiler le sens obvie (Nigléh) tout en occultant le sens caché (Nistar), j'ai décidé de rédiger ce livre afin de dévoiler une partie des Kawanoth de la Tephilah, et je me suis appuyé pour cela sur le livre saint et illustre, le Zohar, ou toute la matière de ce livre a été puisée car tout ce que j'ai écrit dans ce texte est entièrement explicité et dévoilé dans le Livre du Zohar comme tu le verras car je ne suis que le copiste rédigeant un livre ancien sur une feuille vierge » (p.62).

« Ce livre, j'ai commencé à le rédiger en 1575 dans la ville de Taroudant ou j’ai poursuivi sa rédaction jusqu'au chapitre du vendredi soir ; les difficultés que nous rencontrions, le manque d'argent, la vie chère, m'ont empêché de l'achever quand, en 1598, la colère de Dieu s’enflamma et une épidémie se déclara a Taroudant le premier jour de Pessah, de sorte que toute la communauté s’enfuit vers les montagnes et les villages alentours. Mais là, également, nous ne trouvâmes aucun répit du fait de la haine de nos ennemis et des brigands qui nous dévoraient et nous anéantissaient. Certains membres de la communauté et moi-même nous réfugiâmes au village de Akka ou, épuisés, nous trouvâmes enfin quelque repos. Nous manquions de tout, tant du fait de la vie chère que de l'absence totale d'argent ; louons toutefois le Seigneur grâce auquel nous avons trouvé aide et réconfort, et choisi une vie de souffrance au lieu de la mort. L'épidémie dura jusqu’à la néoménie de Tamouz et ceux de la communauté qui s'étaient réfugiés dans les montagnes revinrent à Taroudant pensant que le fléau avait cessé. Mais nous, qui résidions à Akka avec d’autres, craignant que l'épidémie ne revienne, nous ne sommes pas retourné a Taroudant. La seconde année, à la fin du mois de Nissan, l'épidémie revint encore plus forte que la précédente et tous ceux, parmi les fuyards, qui pénétraient dans la ville mourraient ; même les fuyards furent atteints par l'épidémie celle-ci étant encore plus intense que la précédente. Elle frappa la ville tout entière et c'est seulement a la néoménie de Av que le courroux de l'Eternel s'apaisa ; et comme nous étions exilés à Akka, mes compagnons, animés de l’aide divine, héros puissants et fidèles à Sa parole, me prièrent de terminer ce livre respectable; ils m’aidèrent alors financièrement, assurant ma subsistance, jusqu'à sa rédaction finale. Je compris alors que le temps était venu car du fond du malheur ce livre était sorti à titre d'apaisement et je terminais l'ouvrage avec l'aide de ceux qui ont su renforcer ma main ; que l’Eternel leur accorde une pleine récompense pour leurs efforts, et une gratification spirituelle éternelle. Ils me demandèrent d’intituler ce livre Heykhal Hakodesh (Palais du Sacré) car le Heykhal (au Temple) était le lieu de destination de toutes nos intentions. Et parce qu'ils l'ont ainsi appelé, que leur récompense soit inscrite sur l'arbre de vie réservé à tous ceux qui s’attachent à la Torah» (traduction libre, p. 63).

 
 

En fait ce texte assimile le témoignage d'épisodes personnels à des événements mentionnés dans le Tanakh d'0u son caractère déréalisé, les versets concernés étant comme noyés dans la substance même du récit qui se présente dès lors comme une exégèse paraphrastique, Cette manière sereine de relier un événement spirituel intense (la rédaction du livre) a un vécu dramatique, rappelle la manière dont nos maitres transformèrent, jadis, la tragédie de Hanoucah en expérience de type culturel avec un rituel spécifique.

 

Tombe du Tsaddik Rabbi Moshe Bar Maimon ELBAZ (z"tl)
enterré au cimetière de la ville de Taroudant