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Les Juifs de Taroudant, Lettre de l'Alliance

 

 Rapports des instituteurs de l'Alliance

 

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Safi, Le 6 Juillet 1908

 

Monsieur Le Président,

 J’ai l’honneur de répondre à votre lettre du 23 Juin 1908 et la lettre que vous me communiquez ne fait mention à aucun fait précis. Et, en effet, je n’ai point connaissance que quelque chose de grave se soit passé à Taroudant.

Cette ville, située dans le Haut Sous est la capitale de la farouche et indépendante province du Sous, elle est fort importante tant par les fortifications que par le nombre de ses habitants. Les Juifs y sont au nombre de 2000 environ (et non 500 comme vous l’indiquez dans votre bulletin 2ème série N°29). Dans cette même région du Haut Sous et en dehors de Taroudant, il y a près de 2500 autres Israélites répartis entre 31 Mellahs.

Taroudant est une capitale, les juifs y exercent toutes sortes de professions : tailleurs, brodeurs, savetiers, commerçants, épiciers, etc. Un grand nombre d’entre eux se répandent dans toute la région, achetant grains, amandes, huile, peaux pour le compte de leurs coreligionnaires de Mogador et de Marrakech.

C’est vous dire que la population Juive de Taroudant n’est ni plus ni moins malheureuse que celle de Marrakech, sauf qu’elle vit loin de la protection du Makhzen. Et vous savez combien cette dernière circonstance serait plutôt heureuse pour elle, si les  Caïds ……. Et féroces ne se chargeaient des fois de le faire regretter.

Il n’en est pas de même des petits mellahs de cette région. Les douars auxquels ils sont rattachés sont gouvernés par des cheikhs. Ce qui fait que journellement, tantôt sur un point, tantôt sur un autre, les pauvres israélites sont maltraités, pillés et obligés de fuir dans un mellah voisin ou à Taroudant de préférence.

La communauté Israélite de Taroudant, est ainsi mise à contribution, continuellement, pour héberger, nourrir ces infortunés fugitifs.

La crise que le Maroc traverse n’a pas manqué d’atteindre le Sous. Cette province ne peut plus écouler ses produits ni à Marrakech ni à Mogador, les alentours de ces deux villes étant à la merci de la plus désastreuse anarchie.

Il y a déjà là  un fait digne de notre généreuse attention.

Le Rabbin Pinhas Ben Baruch Cohen, signataire de la lettre, est le descendant d’une lignée de grands Rabbins de Taroudant. Je l’ai connu à Marrakech. Petit, maigre, doué d’une grande énergie, Rabbi Pinhas donne l’impression d’un homme sincère, ne rêvant que « Tsedaka », justice et charité. Il s’occupe avec ardeur et dévouement, d’une œuvre ……. Par son père Rabbi David Ben Baruch Hacohen Hatsadik, dont la tombe à Tinzirt (Ras El Oued) est fort visitée par les paralytiques juifs et musulmans.

Ce Rabbi David avait construit une maison spécialement réservée à abriter et entretenir les pauvres frères échappés des douars voisins.

Rabbi Pinhas, n’ayant point de fortune emprunte sur place de quoi entretenir sa maison hospitalière. Tous les 2 ou 3 ans, il fait une tournée dans les ports du Maroc. De retour dans sa ville, il paie ses créanciers et recommence à emprunter. Il y a 6 mois, il n’a pu effectuer sa tournée par suite du mauvais état des routes.

C’est pourquoi, sans doute, il a recours aujourd’hui à notre générosité. Rabbi Pinhas connait l’Alliance, sait tout ce qu’elle fait pour le judaïsme.

Je crois devoir vous demander, Monsieur le Président, de vouloir bien donner à cet homme de bien, modeste et sincère un témoignage de votre sympathie et de l’intérêt que vous portez à l’œuvre généreuse et humaine qu’il dirige avec dévouement. Le prestige de l’Alliance ne fera que grandir dans ce milieu reculé et perdu du Maroc où vos bienfaits et votre œuvre de relèvement ne sont point inconnus.

Il est également utile que dès à présent le comité central – qui sera un jour ou l’autre appelé à étudier sérieusement  la situation de nos coreligionnaires  dans l’extrême Sud Marocain – cherche à s’acquérir la considération, l’attachement des hommes tels que Rabbi Pinhas dont l’influence est grande dans toute la région.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments les plus dévoués.

 

Nissim FALCON